Réindustrialiser l'Europe, la vraie solution ?🏭 | Anaïs Voy-Gillis
Réindustrialiser la France et l'Europe pour la transition écologique
Anaïs Voy-Gillis est géographe, docteure en géographie économique, chercheuse associée au CEREGE (Université de Poitiers), et directrice stratégie dans un groupe industriel de la chimie.
Depuis près de 10 ans, elle travaille sur les questions de réindustrialisation, de souveraineté économique et de décarbonation de l’industrie.
Elle est l’autrice de plusieurs ouvrages de référence, dont L’impératif de la réindustrialisation et Vers la renaissance industrielle (co-écrit avec Olivier Lluansi), et intervient régulièrement dans les médias, think tanks et conférences publiques.
À 30 ans, elle est devenue une figure incontournable du débat sur l’industrie en France, avec un message clair : l’industrie peut — et doit — devenir un pilier de la transition écologique.
En France, l’industrie représente aujourd’hui à peine 10 % du PIB, contre 17-18 % en Allemagne et une moyenne européenne autour de 15 %.
La désindustrialisation française commence dès la fin des années 1970, accélérée par les chocs pétroliers, l’ouverture des marchés asiatiques, l’essor des transports mondiaux à bas coût, et une idéologie dominante valorisant l’entreprise sans usines, théorisée notamment par Serge Tchuruk (Alcatel).
Certaines filières, comme les semi-conducteurs, ont été abandonnées au profit d’acteurs comme TSMC (Taïwan), créant des situations de dépendance extrême.
Contrairement à l’idée reçue, relocaliser en France est souvent plus écologique que produire à bas coût à l’étranger. Anaïs Voy-Gillis rappelle :
« Produire en France, c’est bénéficier d’un mix énergétique peu carboné, d’un cadre réglementaire contraignant, et donc d’un impact environnemental nettement moindre. »
⚡️ Les chiffres à retenir : 25-30 g de CO₂/kWh en France (grâce au nucléaire), 250 g en Allemagne, 500 g en Pologne, et jusqu’à 1 kg en Chine, majoritairement alimentée par le charbon.
D’après une étude de l’INSEE (octobre 2023), produire en France réduit significativement l’empreinte carbone globale.
Anaïs Voy-Gillis identifie quatre piliers qui justifient une stratégie industrielle ambitieuse :
Une base industrielle solide permet de maîtriser les chaînes de production critiques (santé, énergie, alimentation…). C’est un facteur de puissance mais surtout de liberté de choix collectif.
L’industrie crée des emplois directs, indirects et induits, souvent hors des grandes métropoles. Elle structure les territoires, soutient les services publics et redonne une dynamique locale.
Relocaliser permet de mieux contrôler l’empreinte carbone des produits, mais aussi de repenser les procédés, les usages, les modèles économiques (économie circulaire, vente à l’usage, sobriété).
Les emplois industriels, mieux rémunérés et plus stables, financent la protection sociale et assurent des revenus stables à long terme.
Toutes les industries ne sont pas à relocaliser. Anaïs insiste sur une approche stratégique, ciblée et européenne.
Santé : principes actifs pharmaceutiques
Chimie : composants critiques, matériaux
Mobilité : batteries, composants pour véhicules électriques
Agroalimentaire : filières protéiques, nutrition
L’objectif est de créer des champions européens capables de desservir tout le continent, en évitant une guerre de subventions entre États.
Lancé en 2021, France 2030 prévoit 54 milliards d’euros pour relancer l’industrie autour de la transition écologique, de la mobilité électrique et du nucléaire. Mais selon Anaïs :
« Ce plan manque d’une vision claire sur les priorités écologiques et sociales. »
Elle pointe :
- une vision trop dispersée (jusqu’à des projets d’exploration des fonds marins),
- un manque de cohérence entre transition industrielle et environnementale,
- et une absence de coordination européenne, qui provoque des doublons inefficaces.
Anaïs Voy-Gillis insiste sur trois leviers urgents :
Aujourd’hui, les industries françaises bénéficient d’un prix de 42 €/MWh grâce au nucléaire. Ce tarif réglementé prend fin en 2025, ce qui risque d’alourdir fortement leurs coûts de production.
L’Europe autorise encore l’importation de biens produits sans respecter les normes qu’elle impose à ses propres entreprises. Résultat : distorsion de concurrence, désindustrialisation, et délocalisation de la pollution.
Réindustrialiser demande de repenser nos modèles de consommation, de mobilité, de production. Il faut s’attaquer aux racines de la surconsommation.
« L’industrie, ce n’est pas la fast fashion. C’est ce qui nous soigne, nous chauffe, nous transporte. Elle est un levier de liberté. »
Les chiffres sont préoccupants.
En 2023, la France a fermé plus d’usines qu’elle n’en a ouvertes. On assiste à un ralentissement net de la dynamique industrielle, malgré les discours politiques.
La cause ? Une conjonction : prix de l’énergie élevé en Europe (jusqu’à 3x plus cher qu’en Chine ou aux USA), concurrence chinoise agressive, et procédures européennes trop lentes pour répondre aux situations de dumping.
La réindustrialisation ne se fera pas sans arbitrages. Mais elle est indispensable pour affronter la crise climatique, les tensions géopolitiques, et la fragilité de nos modèles économiques.
Anaïs Voy-Gillis le rappelle :
« On ne pourra pas décider librement du monde qu’on veut, tant qu’on ne maîtrisera pas les moyens de le construire. »
Je cherche à comprendre les grands enjeux de la transition écologique, ce qui la freine, et ce qui pourrait l'accélérer, en passant par tous les grands silos de notre société : économie, agriculture, mobilité, culture, logement, énergie, politique, et bien d'autres sujets !